SAUVAGEOT Jacques

Par Claude Pennetier

Né le 16 avril 1943 à Dijon (Côte d’Or), mort le 28 octobre 2017 à l’hôpital de la Salpétrière à Paris ; étudiant en histoire et en droit ; président de l’AG-UNEF de Dijon ; vice-président puis président de l’UNEF : un des trois leaders de Mai-juin 1968 avec Alain Geismar et Daniel Cohn-Bendit, militant du PSU puis de la GOP (Gauche ouvrière et paysanne) ; directeur de l’école des beaux-arts de Rennes (Ille-et-Vilaine) ; secrétaire général de l’Institut Tribune socialiste.

Petit-fils d’un maréchal-ferrant, fils d’un employé de la SNCF et d’une femme au foyer ("employée de maison non rétribuée" pour reprendre la formule de Jacques Sauvageot) d’origine paysanne, Jacques Sauvageot fut élevé dans une famille catholique assez religieuse. Son père avait été militant CFTC puis CFDT, si discrètement cependant que son fils ne l’apprit qu’après 1968. Ses parents votèrent longtemps pour le chanoine Kir à Dijon, puis à gauche. Il avait une sœur et deux frères plus âgés que lui : un frère aîné, François, séminariste puis président de l’AG-UNEF de Dijon, un autre accéda aux fonctions de chercheur à l’IMANA (Institut de biologie appliquée à la nutrition et à l’alimentation, dit aussi Agro-Sup, Dijon) ; sa sœur travaillait comme assistante sociale. Son frère plus jeune de six ans fut "plus ou moins maoïste". Avec le recul, Jacques Sauvageot pense qu’il y avait une tonalité Témoignage chrétien dans sa famille.

Jacques Sauvageot fréquenta une école privée confessionnelle (la maîtrise de la cathédrale) jusqu’en classe de troisième puis intégra le lycée public en seconde, et réussit le bac sciences expérimentales. Il entra à la faculté de lettres de Dijon pour faire des études de philosophie, mais déçu par l’enseignement, il suivit des études de lettres (histoire de l’art et histoire générale) et de droit (droit public). Il obtint deux licences en histoire de l’art et en droit et continua un peu après 1968. Pendant un moment, il suivit les cours du conservatoire de Dijon : direction d’orchestre, hautbois et composition.

Jacques Sauvageot entra tout naturellement à l’UNEF (dont un de ses frères avait été un dirigeant), son premier travail militant consistant à tirer des polycopiés. Il s’occupa de la chorale étudiante, du secteur culturel puis devint président pour deux ans de la corpo de lettres et président de l’Association générale des étudiants de Dijon (AG-UNEF) jusqu’en juillet 1967. Délégué régional de l’UNEF, il décida de quitter Dijon pour des raisons personnelles, une déception amoureuse.

Arrivé à Paris en septembre 1967, il entra immédiatement au bureau national de l’UNEF. Sans appartenance politique, il était sympathisant du PSU. Dans les débats internes de l’UNEF, il était, dit-il, "plus sur la ligne politique du PSU que les étudiants du PSU" siégeant au bureau de l’UNEF. C’est ainsi que Marc Heurgon insista pour qu’il adhéra, ce qu’il fit en février 1968. Il participa aux débats internes aux ESU (Étudiants socialistes unifié). Il était vice-président universitaire adjoint de l’UNEF et s’occupait des résidences universitaires, question qu’il connaissait bien comme ancien président d’une corpo provinciale. Tout alla très vite dans un contexte de concurrence violente des différents courants d’extrême gauche. Il garde un souvenir douloureux de la semaine durant laquelle les jeunes lambertistes de la FER (Fédération des étudiants révolutionnaires) bloquèrent l’accès aux locaux de l’UNEF rue Soufflot, pour faire pression sur le syndicat étudiant affin qu’il signe un texte convoquant une conférence nationale de la jeunesse.

Il n’était pas d’accord avec le vice-président universitaire de l’UNEF ainsi qu’avec le président Michel Perreaud qui démissionna en avril 1968. Jacques Sauvageot fut proposé pour le remplacer par intérim. Son mandat devait être confirmé par un congrès ou une assemblée générale. Il dut renoncer aux études musicales et se consacrer essentiellement au militantisme, car l’UNEF ne disposait que d’une secrétaire permanente et il fallait tout faire. Il assuma son rôle avec efficacité même si pour les interventions orales il n’avait pas le métier de Jean-Louis Péninou ou celui de Marc Kravetz. Le nombre d’adhérents avait chuté de 100 000 avant 1960 à 30 000, tout était à reconstruire. La prise en main de la direction par un membre du PSU était le fruit d’un compromis entre les groupes d’extrême gauche, à l’exception des lambertistes. Ses interlocuteurs au PSU étaient Marc Heurgon, Abraham Béhar et Jean-Marie Vincent. Le syndicat étudiant entretenait des rapports privilégiés avec le SNES-sup. Les relations avec les organisations syndicales ouvrières n’étaient conséquentes que dans la défense de la Sécurité sociale (manifestation de l’automne contre les Ordonnances). Les mobilisations anti-impérialistes se faisaient essentiellement avec les organisations d’extrême gauche, de même pour la défense de Rudi Dutschke, victime d’un attentat en avril 1968, en Allemagne. Même si les mobilisations concernant le plan Fouchet et la création des IUT rencontraient un certain succès, la mise en cause des règlements des résidences universitaires eut un très grand impact. Il avait conscience que l’UNEF était en état de faiblesse. En effet, des Associations générales (AG) agissaient de façon autonome et les contestataires du "22 mars" à Nanterre ne comptaient pas sur l’UNEF. D’ailleurs, sa première rencontre avec Daniel Cohn-Bendit lors d’une réunion rue Soufflot (siège de l’UNEF) ne laissa sur ce point aucun doute. À l’Université de Nanterre, les militants du PSU participaient aux réunions du "22 mars". Les structures de l’UNEF se fissuraient. À partir du moment où l’université de Nanterre fut fermée, l’UNEF s’engagea dans la solidarité. Pendant les vacances de Pâques, Sauvageot se rendit en Italie, délégué par le PSU à un congrès d’organisations politiques progressistes anti-impérialistes ce qui lui donna l’occasion de constater le niveau élevé de mobilisation des étudiants italiens. "Il y avait des mouvements étudiants presque partout, en Allemagne, en Italie, mais pas encore en France" (entretien de 2015).
Jacques Sauvageot fit partie des militants arrêtés à la Sorbonne le 3 mai et c’est là qu’il eut l’occasion de faire mieux connaissance avec Daniel Cohn-Bendit. L’UNEF lança un mot d’ordre de grève et prit des contacts avec les syndicats d’où sortit l’appel à la manifestation du 13 mai et l’acceptation par la CGT que soit en tête de cortège, à côté des syndicats ouvriers, les représentants de l’UNEF, du SNES-sup, du mouvement des lycéens et du "22 mars" . Selon Jacques Sauvageot, les organisations syndicales furent d’abord réticentes à s’impliquer dans le mouvement, puis en raison de l’ampleur des mobilisations, "elles étaient obligées de bouger [...] on a pu imposer tout ce qu’on a voulu".

En mai 1968, il quitta la résidence universitaire d’Antony pour s’installer à l’hôtel à Paris afin d’être totalement disponible. Le Mai étudiant changea le statut public de Jacques Sauvageot qui apparaissait aux côtés d’Alain Geismar et de Daniel Cohn-Bendit comme un leader d’un mouvement puissant et un porte parole. Certains médias se tournèrent vers l’UNEF pour comprendre le mouvement et si Sauvageot n’eut pas l’impact médiatique d’un "Dany", il contribua à faire connaître les revendications étudiantes. Cohn-Bendit disparut de Paris à partir du 13 mai au soir et Geismar "pêta les plombs". Les rapports avec l’extrême gauche se limitaient à la JCR, les lambertistes étant "déconsidérés" et les maoïstes se concentrant sur les usines.

S’il ne croisa jamais François Mitterrand, Sauvageot eut l’occasion de rencontrer à deux reprises, Pierre Mendès France qui ne l’impressionna pas. Il fut en contact avec les dirigeants de la CFDT, Eugène Descamps et André Jeanson, qui manifestaient une sympathie prudente et modérée à l’égard du mouvement. La CFDT de Paris avec Louis Moulinet était elle dans un contact plus solide et chaleureux. S’il n’y eut pas de rencontre avec Edmond Maire, Sauvageot pense que le PSU, par l’intermédiaire de Rocard, se chargeait des liens avec lui. Avec la FEN (Fédération de l’éducation nationale), notamment avec James Marangé, les rapports s’avéraient bons. Pour la CGT, les interlocuteurs étaient Georges Séguy et, pour les dossiers importants, Henri Krasucki qui tranchait, c’est du moins le souvenir que Sauvageot en a gardé.
Selon le témoignage d’Henri Leclerc : "Il a ainsi participé le 26 mai, à une réunion qui se voulait décisive chez le professeur de médecine Marcel Francis Kahn. Dans le grand appartement du professeur dans le Quartier latin en pleine émeute, en présence d’Edmond Maire, Pierre Mendès France, Gilles Martinet, Michel Rocard et d’autres membres de la direction du PSU, nous avons tenté de trouver une porte de sortie politique au mouvement et de contrer Mitterrand et la Fédération de la gauche démocrate et socialiste d’un côté, le Parti communiste français de l’autre. " (Le Monde, 31 octobre 2017, entretien avec Sylvia Zappi).

Les contacts du PSU permirent l’organisation du rassemblement du stade de Charléty le 27 mai. Alain Geismar épuisé physiquement et psychologiquement n’était plus actif mais le SNES-sup et le réseau du PSU mobilisaient dans les fédérations syndicales. Avec l’annonce des élections législatives, le fossé se creusa avec Michel Rocard qui voulait inscrire son parti dans la compétition électorale tandis que Sauvageot défilait derrière les banderoles "Élections piège à cons". Après l’échec électoral et la fin des grèves, Sauvageot se déplaça beaucoup en province pour porter l’esprit de mai. Il anima en juillet le débat au sein de l’UNEF mais le congrès de décembre souligna les divisions internes. Président de fait par intérim, il devait être confirmé par l’Assemblée générale d’avril 1968 mais les lambertistes décrétèrent, selon Jacques Sauvageot, que cette assemblée ne se tiendrait pas et envoya son service d’ordre, contré par celui de l’UEC : résultat l’AG ne se tint pas. En fait de mars à avril ce fut une série de tensions entre les services d’ordre communistes et lambertistes qui paralysèrent la vie de l’UNEF. Il devint président en titre au congrès de Marseille de décembre 1968. Son sursis arrivant à terme, le service militaire mit fin à son syndicalisme étudiant. Mobilisé dans une base aérienne en Corse, il fut accueilli par un militant du PSU dont la voiture connut un plasticage. Sauvageot, caporal-chef (refusé aux EOR, élève officier de réserve), décida donc de rester dans sa base.

À son retour après 15 mois, en juillet 1970, il fut "quasi permanent" du PSU sans salaire. Il écrivit dans Tribune socialiste et dans Que-faire ?. Proche de Marc Heurgon et d’Abraham Béhar, il participa à la GOP (Gauche ouvrière et paysanne) interne au PSU puis à "Pour le communisme" (fusion de la GOP externe et de Révolution) et à l’Organisation communiste des travailleurs (OCT). Conscient d’avoir créé "un groupuscule de plus", il quitta ce militantisme en 1976. Domicilié à Savenay (Loire-Atlantique), son activité se porta vers les Radios libres, particulièrement celle de Saint-Nazaire.

Jacques Sauvageot vécut à Paris jusqu’en 1973 puis à Nantes sans trouver d’emploi durable. Il travailla comme enquêteur agricole à l’initiative de l’élu socialiste de Rezé Jacques Floc’h, puis un temps ouvrier spécialisé (OS) dans une usine de transformateurs électriques, avant d’être recruté comme professeur d’histoire de l’art à l’école des Beaux-arts de Nantes, non sans difficultés car le premier concours fut annulé par le ministère de la Culture. Un concours s’étant ouvert pour le poste de directeur de l’école régionale des Beaux-arts de Rennes en 1989, il fut sélectionné et occupa cette fonction jusqu’à 2009. Il créa et présida l’Association des directeurs d’écoles d’art.

Associé au Cinquantenaire du PSU en 2010, Jacques Sauvageot, volontiers discret mais convaincu et militant, fut un des responsables de l’Institut Tribune socialiste (ITS) qui gère les archives et anime des débats avec des anciens du PSU comme des militants sensibles aux idées et pratiques qui ont marqué le PSU.
Il se partageait entre Rennes et Paris où il avait un studio rue de Malte. En sortant des locaux de l’ITS le 12 septembre 2017, il fut fauché par un scooter et hospitalisé, placé en coma artificiel, puis mourut quelques semaines plus tard à Paris, le 28 octobre.

Le centre d’archives et de documentation de l’ITS est devenu début janvier 2018 Centre Jacques Sauvageot, rue de Malte.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article175435, notice SAUVAGEOT Jacques par Claude Pennetier, version mise en ligne le 11 septembre 2015, dernière modification le 27 octobre 2022.

Par Claude Pennetier

ŒUVRE : Mai-juin 1968, directives d’action. Brochure réservée aux travailleurs et aux étudiants, avant-propos de Jacques Sauvageot, Paris, Au joli mai, 1968. — La Révolte étudiante, les animateurs parlent, J. Sauvageot, A. Geismar, D. Cohn-Bendit ; présentation d’Hervé Bourges, Paris, Ed. du Seuil, 1968. — Association Presse information jeunesse, La Presse à l’école, postface de Jacques Sauvageot, Paris, Éditions du Cerf, 1974. — Architecture monumentale et reconstruction, actes du colloque de Rennes, décembre 1994, directeur de la publication Jacques Sauvageot, Rennes, École régionale des beaux-arts, 1995. — Des écoles d’art en Europe, séminaire sur l’enseignement de l’art en Europe, introduction par Martial Gabillard et Jacques Sauvageot, Rennes, École régionale des beaux-arts, 2004. — De l’espace construit à l’espace imprimé, actes de la journée d’étude de Rennes, novembre 2008, sous la direction de Jacques Sauvageot, Rennes, École des beaux-arts, 2009. — Au cœur des luttes des années soixante : les étudiants du PSU : une utopie porteuse d’avenir ?, ouvrage coordonné par Roger Barralis et Jean-Claude Gillet ; introduction par Jacques Sauvageot, Paris, Publisud, 2010. — Le PSU : des idées pour un socialisme du XXIe siècle ?, ouvrage dirigé par Jacques Sauvageot, éd. Presses universitaires de Rennes, 2013.

SOURCES : Entretiens avec Jaques Sauvageot, 2015. — Presses. — Bibliographie de Mai-juin 1968. — Presse à l’occasion de son décès. — Le Monde, 31 octobre 2017.

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